La saveur douce-amère du repentir est commune à tous les mercenaires freelance. Il est temps de s’en désintoxiquer, en particulier en cette période où les travailleurs de bureau sont majoritairement contraints au télétravail. Nous sommes logés à la même enseigne et faisons ce que nous pouvons pour jongler sans laisser tomber trop de balles.
Tous les homeworkers ont vécu ces journées de procrastination où la dictature de la to-do list cède la place à une errance entre réseaux sociaux et conversations virtuelles.
Celleux qui comme moi travaillaient déjà exclusivement à domicile avant la pandémie savent que le télétravail a des avantages et des inconvénients indéniables. Parmi ces derniers, l’impossibilité à se consacrer pleinement à une seule tâche pour l’effectuer d'un trait. L’irrégularité souvent « dents de sciesque » du flux de travail et des horaires en est un autre, de même que la tentation à remettre à après-demain ce que l’on pourrait sagement accomplir là, maintenant.
L´indépendant.e apprend à briller par des éclairs de productivité presque surhumaine, lorsqu’il ou elle doit venir à bout de ce projet, quitte à travailler de jour, de nuit, le week-end, les vacances, à la cafète de l’école de danse de la petite, avec 40 de fièvre, la jambe dans le plâtre ou aux urgences quand le cadet s'est cassé le bras.
C’est son super pouvoir, cette force de travail qui semble sans limites, sans horaires, sans entrave. Cette capacité à toujours trouver des solutions pour ses clients, à intercaler cette urgence dans un planning déjà plein à craquer ou à fignoler ces dernières corrections dans une salle d’embarquement d’aéroport.
J’ai travaillé dans des trains, des avions, des hôtels, des cars, des voitures, des salles de danse, des musées, des bibliothèques publiques, au bord de piscines. À toutes les heures du jour et de la nuit. Les réveillons, les lendemains de veille, le jour de mes opérations, la veille de l’enterrement de ma mère, quelques heures avant d’accoucher. Grippée, covidée, enceinte, jet-laggée, déprimée… Avec un bébé qui hurle et une petite fille qui réclame son goûter en trépignant.
J’ai maîtrisé des visioconférences et des appels téléphoniques professionnels dans un chaos indescriptible de bouteilles de Perdolan bébé, de jouets et de vaisselle qui déborde, de troisième Disney de la journée, d’eau des pâtes qui bout et de bain qui coule avec des canards en plastique dedans, avec cours particulier de math en bruit de fond. J’ai traduit des dizaines de milliers de mots assise dans ma voiture, laptop sur les genoux, en attendant que ma fille termine son cours de ballet classique.
Dans ce tourbillon de productivité permanente à tendance punk qu’a été ma trentaine et mon début de quarantaine d’autoentrepreneuse/maman solo, il est tentant d’envisager tout relâchement comme un abandon pur et simple du navire. Lorsque l’on a l’habitude de produire beaucoup, vite avec une capacité de concentration défiant l’entendement, on peut s’effrayer de notre propension tout aussi grande à passer 3 heures à regarder des tutos maquillage sur YouTube au lieu d’avancer sur ce projet ou de peaufiner notre stratégie marketing.
Certains appliquent à leur activité indépendante une discipline de fer calquée sur des horaires de bureau classiques. Ils ont cependant souvent une autre source de revenus ou un deuxième salaire fixe dans leur ménage.
Grand bien leur fasse.
Personnellement, je n’ai jamais eu ce luxe. Je prends le boulot quand il arrive et je m’engouffre dans les périodes de creux pour souffler un peu. En me sentant néanmoins coupable de passer une après-midi à mater un documentaire sur l’histoire du hip-hop pendant que la grande est à l’école et le petit à la crèche au lieu de prospecter ou d’avancer dans mon repassage.
Toutefois, je me dis également que lorsque ce projet de 100 000 mots à rendre pour avant-hier arrivera, non seulement je ne ferai pas la fine bouche, mais je mettrai tout en oeuvre pour livrer un travail de qualité dans un délai serré tout en gérant les enfants, le ménage, les devoirs, l’angine de l’un, les 20h de sport de l'aînée, mon yoga, ma formation et ce petit article d’une page hyper urgent qui s’intercalera inévitablement dans ce programme déjà titanesque.
Dans la plupart des secteurs, les circonstances actuelles ne sont de toute manière pas propices à des conditions de travail optimales. Il faut donc faire contre mauvaise fortune bon cœur : travail flexible n’est plus serein. Et ce ne sont pas les travailleurs qui sont à blâmer, c’est le contexte. Pourquoi dès lors ne pas davantage apprendre à se ménager des plages de liberté un peu atypiques et décalées et se libérer de la saveur aigre-douce du « peut mieux/plus faire » et de l’autoflagellation masochiste à outrance ?
Alors, respirez si vous prenez un jeudi pour traîner en pyjama ou si votre petit vient hurler « Maman, caca ! » en plein milieu de votre Zoom du mercredi après-midi : vous faites des prouesses, certes, mais à l’impossible nul.le n’est tenu.e.
C’est dans l’inconfort et le bouleversement que le talent humain exprime son potentiel novateur.
Nous devrions donc plus que jamais innover dans le contexte actuel quasi-dystopique. 😉
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